Jeanne est un petit ange aux cheveux bouclés, une petite poupée de porcelaine aux yeux en amande gris-vert, aux traits fins, au port de tête un peu royal, aux gestes toujours mesurés. Une enfant comme une autre.... si ce n'était cette déformation au palais découverte un peu tardivement. Plusieurs jours après la naissance plus précisément. Soit juste à temps pour éviter que Jeanne qui, dès sa conception avait déjà une sérieuse propension à hésiter à s'organiser, à s'accrocher à la vie ou pas, ne finisse par tirer définitivement sa révérence au monde à défaut de pouvoir manger, têter son biberon comme tous les nouveau-nés, se nourrir, grossir, grandir. Un parcours du combattant, une solution d'attente, une opération en urgence plus tard, la fente palatine rebouchée, le palais reconstruit, re-voilà Jeanne, 8 mois, et ses parents reprenant le cours normal de leur vie. La vraie, loin des hôpitaux et des humains en blouses blanches, des brancarts et des pleurs étouffés de bébé, d'enfants. « Loin de cet équipage d'éclopés... et pourtant, nous étions du lot » se confie après des mois de bataille un père épuisé et désabusé.
« Ca va aller maintenant, ça va aller... nous allons redevenir une famille normale », c'est ce que les parents de Jeanne se répètent. Plus que tout au monde, ont envie de croire. Mais le chemin de la vie a ses détours scabreux, rien ne va aller maintenant car rien n'est joué, si ce n'est le début d'un long chemin de croix à 3 : avec son palais flambant neuf, si Jeanne finit par manger et grossir, grandir, Jeanne ne parle pas. Jeanne crie, rit, joue, mais pas un mot ne sort de sa jolie bouche. Au grand dame des médecins, des spécialistes et de son entourage familial. Las de tout cela, un jour comme un autre, alors qu'il emmène sa fille de 3 ans à une énième consultation hospitalière, papa craque. Papa psychiatre, psychanalyste, décide de prendre la poudre d'escampette, et enlève sa fille. « Voilà. Je pars. Ou plutôt, nous partons » est la phrase d'ouverture de ce livre émouvant et du road movie rocambolesque qui s'ensuit. Jeanne assise à l'arrière de la voiture, son père conduisant devant, le portable éteint, avec l'espoir de comprendre enfin sa fille, d'aller à sa rencontre, de se trouver mutuellement, de parler une même langue, un même langage, malgré l'absence de phonèmes communs. Une folie à deux. Un voyage augural, inititatique, entre un papa au bout du rouleau, dérivant après un long combat de sa course de père modèle, las de raconter la même litanie selon laquelle tout irait bien, de faire semblant, jouant le tout pour le tout, et sa toute petite fille lunaire, mutique et mutine. Le voyage de Jeanne et de son père, malgré la colère et l'incompréhension des autres, Cécile la maman, les grand-parents, les amis.... « la horde sauvage » qui ne comprend pas ce geste, cette fuite, s'inquiète et s'indigne.
Une très belle langue, des mots justes, parfois crus, qui disent la souffrance d'un père. Un regard sans pathos, sans concession, vrai, incarné et poétique aussi. Un cri d'amour surtout, d'un père à sa fille, et aussi en filigrane, d'un mari à son épouse. « La vie tient à peu de choses. Les choses importantes tiennent en peu de mots ». Il aura pourtant fallu le temps d'un long périple en auto et tout l'espace d'un livre pour pouvoir écrire et énoncer cette évidence, ces quelques mots. Jeanne et son papa arriveront-ils à renouer le fil d'une langue commune, à lâcher les chevaux du langage et avec eux les papillons de la vie? Vous le découvrirez en lisant ce très beau récit (autobiographique faut-il le préciser?).
Le voyage de Jeanne, de Jean-Baptiste Dethieux, Editions Anne Carrière, 2009, 216 pages, 18 euros.
A commander sur : www.fnac.com
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